
Pensée III (Andréa)
R.A.S.
Notre vie sur cette terre n’est qu’un détail
Mais la vie pour notre cœur est une faille
Il appelle en secret toute l’armada
D’un océan dont notre vie n’est qu’une goutte
Un détail la vie sur Terre dans le chaos
De la matière en l’occurrence, dans l’invisible une éloquence
Une perle en bord de mer, une pépite dans un ruisseau
Et le corps dans son errance prend toute son importance
Poids de funambule dans la courbure de l’espace-temps
Le fil tient toujours debout, l’Homme souvent se casse la gueule
Andromède sur son rocher fait la cour à l’homme sauveur
C’est un peu l’humanité redoutant sa dernière heure
Dans toute son échéance le corps occupe sa place
Du caviar d’esturgeon jusqu’à la fonte des glaces
Des perles d’or coulent sur le buste empirique
De la dame célèbre et du dieu fatidique
Un éclair, la vie s’éclipse et se remplace
Mais l’homme n’en a d’égard que lorsque l’homme sous la menace
L’homme et la femme ne font pas un, la femme et l’homme en font plus d’un ;
Qu’il soit de droite ou de gauche, y’en n’a pas un pour relever l’autre
Poids de funambule dans la courbure de l’espace-temps
Le fil tient toujours debout, l’Homme souvent se casse la gueule
Andromède sur son rocher fait la cour à l’homme sauveur
C’est un peu l’humanité redoutant sa dernière heure
Homme ! libre penseur — te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose :
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’univers est absent.
Respecte dans la bête un esprit agissant : …
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère d’amour dans le métal repose :
« Tout est sensible ! » — Et tout sur ton être est puissant !
Crains dans le mur aveugle un regard qui t’épie
A la matière même un verbe est attaché…
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !
Souvent dans l’être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres !
Gérard de NERVAL, « Vers dorés », Odelettes.