
Pensée VI (Stan)
Une pensée hebdomadaire très personnelle, une de plus me direz-vous. L’expérience de l’Hôpital après une tentative de suicide en 2013. La richesse exotique de la patientèle, pour reprendre un terme en vogue en médecine. Tout l’amour obstiné dont je suis capable et l’inévitable déception qui s’en suit, comme il fut, jusqu’à maintenant, de coutume.
Heureux déconfinement vous soit !
Yona
Révision d’un truc du 19 février 2013 (et jours précédents) rédigé sur un de ces HTC One S de l’époque ^^ au fond d’un des deux lits de la chambre 22 du service Rosa Parks du Pôle Paris-centre où j’ai passé deux mois. Un peu cynique, un peu auto-fiction-truc (je croyais démarrer un bouquin à l’époque, fallait que ça plaise…). Très très français lol. 😀
Yona 1 a débarqué il y a deux jours en HDT dans l’unité Rosa Parks, après qu’un ami avocat à elle, inquiet, a appelé le service des urgences psychiatriques en vue, j’imagine, de faire examiner le degré de misère et de perdition qui émanaient de cette personne pathétique. Yona est mon amour, retrouvé ce jour à la faveur d’une nuit blanche qui m’a refait le pied marin dans cet océan de noirceur dans lequel je sombrais bénévolement depuis quelques mois.
Elle est mon amour, je le sais puisque dans mes draps, chambre 22, elle s’est lové en écoutant ma déclaration, d’amour… a fermé les yeux et s’est assoupie un instant devant tant de merveilles. Je crois en tout, c’est une ferveur utile ! Angus & Julia Stone chantaient le refrain d’une complainte amie. Elle a inspiré un effluve de nos sueurs et regagné sa chambre en courbant l’échine…
Avez-vous déjà rêvé d’une jeune juive au longs cheveux crépus, secs comme un olivier des terres Saintes, aux jambes fines comme des pattes de phasme qui tricotent, au nez piquant comme celui d’une antique sorcière, à la posture fragile du château de carte doué par la nature de mouvements délicats ? Moi oui mais Yona n’est pas vraiment celle-là.
Elle est mon amour, je le sais. Malgré son obstination à me vousoyer et l’évidence que je suis un connard, parce que, comme tous les connards, je ne peux pas lui prêter de stylo, parce que j’en ai pas — chose tout à fait propre aux connards de mon espèce : je le sais, c’est elle.
Là, tout de suite, je me figure que chaque moment passé hors de la chambre va être une source magnifique d’idées pour nourrir mon appétence bornée pour le vomi humain, la saumure intérieure, cette âpreté atavique que se lèguent les longues lignées d’hommes et de femmes brûlés par leur essence qui se transmettront ce désespoir infini qui gagnera tous les êtres du monde à la fin, à mesure, m’imaginé-je, qu’ils trouveront en face d’eux les conforts surnuméraires, Google Maps à toute heure et leur cœur solitaire réparé par Darty.
Je lui ai dit que j’écrivais, pour mieux la séduire, c’est dire si je suis doué pour séduire ! Je sais qu’elle y est sensible, d’ailleurs elle a aussi l’air d’avoir en nombre des défauts d’orgueil… intempestifs. On est faits l’un pour l’autre.
D’après son CV, trouvé facilement sur Internet, auraient été organisées pour elle sept expositions à travers le monde, auxquelles s’ajouteraient treize expositions organisées en association avec d’autres photographes ou plasticiens professionnels. On peut même dire que la manie est consommée pour une jeune femme de 40 ans. Diantre ! 40 ans et je la tutoie !
Isabelle elle, comment dire… Isabelle est cette belle juive que j’ai décrit plus haut et, mise à part sa soixantaine d’années et son absence de judéité flagrante, elle correspond mot pour mot au portrait. Elle est d’une foudroyante intelligence, laide comme un sourire de gueule cassée néanmoins…
À l’atelier bibliothèque, elle a dit des trucs si puissants sur le sexe et la maternité que j’en ai été brievement subjugué. En substance, la maternité serait une justification, sinon une excuse, faite à la femme pour la raison qu’elle n’a pas de pénis, qu’elle ne donne rien en puissance mais subit la pénétration dans la torpeur, pour enfanter finalement un rejeton qui la sauverait du mal premier. Je n’ai pas pipé mot mais j’ai compris que j’avais assis à côté de moi un être supérieur. Je n’ai rien dit, je n’ai pas osé. Il m’aurait fallut défendre la Femme avec des mots confus, empruntés à je-ne-sais-quelle idéologie féministe ou constitués d’une langue qui ne s’apprend nulle part ailleurs que sur les sites d’info d’extrême gauche cryptiques, auxquels je regrette de toute façon toujours m’être abonné l’effervescence anti-fasciste d’un moment passée…
Yona, elle, est persuadée qu’elle sortira dans une semaine, fraiche pour un vernissage qui a lieu à Londres et fraiche pour la vie qui accompagne ce genre d’agréments flatteurs. Étant admise ici de force, c’est évidemment impossible.
Jusqu’à quand va-t-elle s’agiter au téléphone avec tous les amants de sa vie et tous les organismes disposés à la servir (livreurs de pizza compris), gueuler sur les infirmières, les ASH et les psys égarés dans les couloirs, pour se rendre à l’évidence que rien ne la sortira dans le mois des Hôpitaux de Saint-Maurice, sur le site de l’anciennement nommé hôpital Esquirol, à l’adresse 12–14, rue du Val d’Osne 94410 Saint-Maurice ?
Tandis qu’un jeune homme gît dans la salle d’isolement, sobrement renommée C.S.I. 2, ceci depuis trois jours, un jeune homme qui a commis des écarts violents — certes ! — mais à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession ? Pas à Esquirol un jour ordinaire. D’autant plus que s’accumulent déjà à sa charge les prémices des très grands ravages que peut faire ma nouvelle amie lorsqu’elle désire quelque chose très fort. Lui désirait manger une portion de plus de fromage à midi…
Depuis hier soir (depuis qu’une pizza-clandé m’a réconforté !) je revis entre les deux parts d’un truc fabuleux. La frontière est cette porte, (presque occultante si elle n’était pas percée d’une vitre carrée dépolie), où s’attardent tous les quarts d’heure de nouvelles paires d’yeux très curieux, je ne sais trop pourquoi, d’infirmières et de patients qui déambulent dans le seul couloir qui distribue toutes les chambres de malades au rez-de-chaussée. Il y a donc d’un côté, par exemple, le lit, le smartphone, la serviette et le bain de bouche et de l’autre un petit reste du monde concentré dans des grands murs d’antan, son peuple créateur de surprises effarantes qui attend à 10 mètres… et franchis parfois même le pas sans prévenir.
[Quelques jours ont passé.]Sourd de naissance, forcé à prier un Dieu de colère, par une observance obstinée de la liturgie qu’il s’invente, Nicolas, probablement rendu fou par son handicap s’époumone en sermons vains et en prédications futiles, de jour comme de nuit, en traversant avec de larges gestes la cour de part en part. Max, sorti d’iso, répète à qui veut l’entendre qu’il est un futur grand DJ d’Ibiza, c’est surtout un comique de génie qui parvient à faire rire les plus fous (un vrai don !). Julienne s’est fait volé son iPhone 3GS, probablement par Ivan, qui verrait bien sa carrière d’informaticien bifurquer en pontificat. Yona a disparu, rattrapée par une idylle indécente sur Skype avec Benicio Del Torro. Isabelle gueule toujours des insanités de corbeau perché, obscurcissant d’un regard de prophète les couloirs et le patio, souvent à la quête d’un mégot de troisième main. Mon nouveau voisin de chambre est un doux animiste communiquant seul avec des êtres sublimes venus des sagas d’Islande, il lit tout le temps et s’enregistre au dictaphone dés qu’une idée pour son roman heroic-fantaisy lui vient. C’est un putain de mordu de poésie qui connait absolument tout. Yona a disparu…
Tout ce temps là j’ai chuchoté dans ma douche, des excuses, étouffé par l’eau chaude, et pleuré, et puis joui sur les murs. Me suis assoupi quand j’ai pu…
Après les nuits blanches, l’assoupissement doux, le ressac du soleil en nous, l’extinction sans appel des feux de détresse ressemblent à s’y méprendre à une mort heureuse.
Je dors au p’tit matin qui pleut.[, à demi dans l’ombre d’un rideau couleur du sable, sous le gîte fallacieux de quelques marchands très inquiets, tout courbés sous leur vertus qui prend des voiles réveillées.]
Rédigé le 19 fév. 2013, grosse révisions les 08–15 oct. 2015.
Stan
- Angus and Julia Stone – Death Defying Acts @ Tivolivredenburg (2_7) Julia Stone

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Poète et essayiste amateur. Féru de technologies, de toutes créations artistiques. Connait la psychiatrie comme patient borderline depuis 24 ans. Souhaitant ici apaiser le dialogue entre toutes parties de la psy moderne et faire rencontrer des mondes qui s'affrontent ou s'ignorent. Prêt à dénoncer toute injustice subie par les malades psychiques quel que soit leur mode de prise en charge. Amoureux du genre humain.

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