
Mon engagement
Vous trouverez ici le premier de mes textes rédigé dans l’idée de faire bouger plus lentement le monde… par l’idée. Voilà qu’on se rend compte bien tard qu’entre mots et gestes gît la volonté, et « l’application des peines ».
Avant-propos (d’un livre fantasmé)
Si l’on m’avait dit tout gamin que j’allais passer par la psychiatrie dès l’âge de douze ans, je ne l’aurais pas cru possible. Si l’on m’avait dit à douze ans que le premier séjour dans ce type de service serait loin d’être le seul et que j’y repasserai une, deux, trois, d’incalculables fois, j’aurais contré violemment dans un sursaut du cœur.

Si l’on m’avait dit tout gamin que j’allais passer par la psychiatrie dès l’âge de douze ans, je ne l’aurais pas cru possible. Si l’on m’avait dit à douze ans que le premier séjour dans ce type de service serait loin d’être le seul et que j’y repasserai une, deux, trois, d’incalculables fois, j’aurais contré violemment dans un sursaut du cœur. Si l’on avait supposé, aux 18 printemps tout neufs du fumeur d’herbe que j’étais, que ces séjours parfois pluri-annuels en hôpital psychiatrique constitueraient petit à petit une routine de prévention dans les moments de crise, soupapes de sécurité finalement bien grossières, ou simples plages de réveil ménagées après les centaines de pilules absorbées pour dormir seulement (ou mourir enfin), 8 ou 10 heures de sommeil suivant 96 heures de veille intenses régulièrement au quotidien ; personne n’y aurait prêté attention… Improbable ! Si alors, pire que tout, on m’avait soutenu à l’époque que je finirai non plus par vouloir changer le monde mais tout d’abord changer l’Hôpital, dont j’aurais fait l’expérience si souvent et qui m’a agacé comme le précipité d’humanité qu’il est de fait — puisque celui-ci serait alors, pour ainsi dire, devenu le dernier espace de socialisation et d’apprentissage sur les autres accessible —, j’aurais éclaté de rire, comme n’importe qui se voilant la face, incrédule, sur une folie naissante.
Là où un petit peuple éduqué, parfois à l’abri des présupposés du parisien bourgeois libertaire et libéral, applique chaque matin et jusqu’à la nuit noire des recettes inconcevables pourtant par des éditorialistes de gauche, réclamant pompeusement, çà et là, du haut des rédactions fébriles, le retour au local et à la solidarité tandis qu’ils continuent pour beaucoup de croire qu’ils en sont exemptés tacitement.
Malgré les nuits blanches et les journées alité, malgré les deux à six paquets de blondes par jour, ou plutôt par séquence de veille, malgré les échappées nocturnes dans la ville, seul, à marcher des kilomètres le casque audio sur la tête avec la musique comme recours ultime contre une souffrance extrême. Malgré ces épopées pédestres dans Paris, lors desquelles j’ai dû croiser aussi bien des crétins natifs que de véritables philosophes de banlieue, échoués dans les rues jusqu’au premier RER du matin. Ignorés en leur état de réclusion culturelle, pour le tort de ne pas être nait là où il faut mais juste à côté. Là où un petit peuple éduqué, parfois à l’abri des présupposés du parisien bourgeois libertaire et libéral, applique chaque matin et jusqu’à la nuit noire des recettes inconcevables pourtant par des éditorialistes de gauche, réclamant pompeusement, çà et là, du haut des rédactions fébriles, le retour au local et à la solidarité tandis qu’ils continuent pour beaucoup de croire qu’ils en sont exemptés tacitement.
Malgré une mémoire vaste et longue, capable de sortir des pans de notes et de mots par albums et recueils entiers, versant des redites plus vraies que nature. Malgré les réponses et les quelques bonnes intuitions… Il n’y a rien d’achevé dans un nycthémère ! Le borderline n’y verra pas d’arraisonnement à ralentir ! n’écoutera pas les coups de semonce ! ne prêtera pas d’oreille attentive aux appels au calme, sinon s’ils justifient qu’on les lance frondes et cailloux en mains ; ne mettra pas de frein non-plus aux embardées partisanes le sommant d’être consterné, affligé, dans la déploration pieuse ou revancharde en vue d’une fin de monde imminente, n’ayant jamais appris lui-même à se gouverner autrement qu’en frappant fort les obstacles du front. Qui finira esquinté, en marmelade et dépitera à vue les militants de la raison les plus enthousiastes.
La luxuriance des germes en errance, des matières égarées et obscures sur lesquelles ont voudrait planter le drapeau du sens réclame qu’on les ait suffisamment enracinés, profondément confiés à la terre pour produire des formes de vie supérieures et hautes dans l’air. Assez solidaires ainsi les unes des autres, par leurs racines aimantes, pour engendrer dans leur marche d’autres formes de vie élégantes et gracieuses.
Lors, de cette façon, tout a accéléré en moi à mesure que l’on a creusé le trou de la Sécu avec comme dessein de limiter au mieux la casse. Pour d’informes résultats, la frénésie ayant définitivement gagné la partie. La prise de vitesse initiée il y a si longtemps ayant accompli le projet idiot de me projeter dans un mur qui maudit autant qu’il attire à lui. Ceci n’augurant que d’une existence menée par des accidents et bel et bien bâtie sur du sable, viscosité impropre par nature à accueillir un écosystème verdoyant au long cours. Comme une déviation de principe, certains esprits empruntent l’itinéraire bis qui rallonge. La luxuriance des germes en errance, des matières égarées et obscures sur lesquelles ont voudrait planter le drapeau du sens réclame qu’on les ait suffisamment enracinés, profondément confiés à la terre pour produire des formes de vie supérieures et hautes dans l’air. Assez solidaires ainsi les unes des autres, par leurs racines aimantes, pour engendrer dans leur marche d’autres formes de vie élégantes et gracieuses. J’ai été, je suis, je resterai cette graine. Tu es, nous sommes cette graine, galvaudée absolument si l’on n’en nourrit pas le terreau maternel.

Je n’écris évidemment pas ce truc pour dénoncer, bien qu’il faille le faire, les coupables à mettre au gibet parce qu’ils mettent au ban, ni pour m’occuper le temps à pisser sur des reliquats fragiles, ni pour briller dans le noir mais parce que c’est le seul moyen d’éclater qui vaille… Le seul outil qui permette de considérer sa propre histoire en prenant l’exacte mesure de ses erreurs, de les fertiliser, d’en répandre les semences. Même sur un bitume aride à l’excès. Et à l’inverse, qui incite à veiller jalousement sur ce qu’il y a de fécond en soi et d’en user comme d’un tuteur intime.
En d’autres termes, puisque tout être vivant tend obligatoirement vers sa vie, notion logiquement associable à l’optimisme, je chercherai à être mon guide, pour ma part d’existence, je chercherai beaucoup, en commençant à retirer ou agir par initiative personnelle les premiers temps. Inspiré, autant qu’il se peut. D’inspiration pluri-culturelle, pluri-confessionnelle, sélectionnant le meilleur encens de chacune des chapelles, le meilleur miel de chaque tradition, le meilleur vent de chacun des poètes. Dans la mesure des grands possibles comme des tout petits, dans les rapports humains… Enthousiaste, savant… nuancé. Bien que ce mot-là me casse les dents. Tourmenté seulement par son éthique, par les hommes-exemples qui savent dénoncer les manifestations les plus tenaces de la crasse et de l’ignorance dont l’époque nous afflige. En tous domaines, en toutes circonstances et à tous égards.
L’unique raison de la démarche la voici enfin : sublimer à tout prix les expériences bancales afin de saisir cet immense chaos existentiel non plus comme une masse gluante, grise et narquoise qui engloutirait les âmes échouées et les digérerait patiemment mais de le voir dorénavant comme un moteur pulsatile doué du renouveau perpétuel ; dragant le fond, retournant les limons sédentaires pour leur suggérer nombre de révolutions paisibles ; comme une source foisonnante — et riche de preuves très regrettables — que la lenteur sauvera les Humains.
Je pense au père Stan Rougier, le prêtre auquel je dois mon prénom, je pense aux rappeurs hargneux des années 90 qui m’ont surtout appris à prendre mes distances avec les tutelles de tous bords, je pense à ma grand-mère maternelle qui s’est battue avec le sourire pour les proches et les larmes pour elle-même, à ma mère de même, je pense à tous ces génies du quotidien qu’on peut croiser tous les jours dans la rue en marchant et qui resplendissent de confiance en l’autre avant de resplendir de confiance en eux. L’unique raison de la démarche la voici enfin : sublimer à tout prix les expériences bancales afin de saisir cet immense chaos existentiel non plus comme une masse gluante, grise et narquoise qui engloutirait les âmes échouées et les digérerait patiemment mais de le voir dorénavant comme un moteur pulsatile doué du renouveau perpétuel ; dragant le fond, retournant les limons sédentaires pour leur suggérer nombre de révolutions paisibles ; comme une source foisonnante — et riche de preuves très regrettables — que la lenteur sauvera les Humains.
Par la substitution bien consciente des besoins par l’envie. Par l’agression marchande déguisée en discours d’art, de sagesse ou de philanthropie, par les truchements du marketing qui doit avoir sa place partout, qui étend son domaine jusqu’à nous priver de nous-même, pour kidnapper ce qu’il reste d’imprévu et de spontané invendables.
Oui, j’affirme là que le ralentissement ou le recul du rythme des actes et des événements courants est une urgence si l’humanité ne veut pas se perdre dans l’hystérie collective ou la feinte et les glissements sémantiques mal inspirés…Une hystérie étrangement sanctifiée par toutes les sociétés up-to-date — n’est-ce pas ? Une feinte, une imposture, glorifiée par ceux qui voient dans nos angoisses et nos doutes d’un instant l’occasion de nous bourrer la gorge et les paumes d’objets calmants qui fondent à la fois dans la bouche et dans la main. Ceux qui apaiseraient les individus dans leur coin par la magie des images et des preuves irréfutables de la science ignorante de sa mission et flouée par cet anachronique futurisme qui commande au grand-œuvre des civilisations sans vision aimante ni regard de compassion. Par la substitution bien consciente des besoins par l’envie. Par l’agression marchande déguisée en discours d’art, de sagesse ou de philanthropie, par les truchements du marketing qui doit avoir sa place partout, qui étend son domaine jusqu’à nous priver de nous-même, pour kidnapper ce qu’il reste d’imprévu et de spontané invendables. Par ces réflexes de défense qu’on justifie trop vite à la faveur de l’exceptionnelle dramaturgie de situations inextricables en apparence — puisqu’on n’en exclue l’idée démocratique, peut-on penser — et qui conduisent à ce que chaque exception face juris-prudence.
Au nom du « progrès », du « futur » et non pas d’un destin commun supérieur à toute chose. Au nom du laisser-faire, parce qu’il faut toujours laisser libre, d’abord son pire cauchemar, les cercles vicieux, de continuer d’étourdir le spectateur, médusé, surtout s’ils tournent sous nos yeux, bien trop loin des bras, hors écran, hors contrôle, à la portée mais si étranges qu’on obtempère devant sa peur, le doigt sur la soudure du téléphone, à surprendre l’horreur qui nous dévisage, dénote notre lâcheté (l’oubli du passé comme hygiène de vie). Au nom de la nécessité de trouver les solutions dans le même état d’esprit par lequel on a engendré les souffrances, sans repos, sans escale, sans vacance du pouvoir, sans retrait. Les mises en abîmes sont parfois trop infimes pour les nommer ou trop évidentes pour ne pas en faire des tabous mortifères. Au nom de l’allégeance faite tacitement aux innombrables dieux du fric, prêts à se prosterner devant leurs fidèles pour mieux abuser d’eux. Au nom de l’industrieuse blessure narcissique qui saigne un monde globalisé dans l’insouciance du vide séparant les planètes. Depuis que cet ego vide de muscles et de désirs champêtres rend sourd aux plaintes du voisin de palier qui n’osait déjà plus réclamer de sel.
Voilà ce qu’il manque sûrement à l’humain fréquentable qui est à venir, qui jamais ne pratiquerait l’hygiène avec trop d’affairement pour conserver ses mains maculées du pardon qu’elles accueillent (et faisons un auto-da-fé des serveurs libres, gais enfants d’ARPAnet si l’on échoue à l’exercice) : une vision, un dessein comme plus petit dénominateur commun. Un optimisme inconditionnel face aux troubles en partage. Plutôt que de déplorer les lacunes, que de combler les frustrations, les vides immenses à s’en épuiser, ne nous faudrait-il pas choisir simplement notre imaginaire pour de bon ? choisir nos valeurs en somme ? Faire par-delà les seuls liens hypertexte le vœu univoque et grandiose de porter sur ce monde un regard sans haine ? De cohérence et d’affection — et de vigueur — mélées ! Attachés aux solutions, détachés des dogmes… Avec l’égale opiniâtreté que celle qui mène aux violences courtoises dont ont frappe les pièces de monnaie ou imprimées sur les billets de banque.
Affirmons-le [le recul pris] en omettant si possible d’en faire des rassemblements symboliques nous épargnant d’écouter ou de se taire si rien n’est à dire et tout à accepter. Ayons enfin la générosité de nous considérer comme meilleurs que nous sommes pour mener l’équipage à l’issue qui aide au moins, ou même sauverait du péril.
L’amour, la lenteur, je crois, l’équilibre des forces, la tentation de l’harmonie sont devenus des valeurs désuètes et ringardes qui demandent avant tout volonté et abnégation. C’est d’ailleurs pour cela qu’elles ont, au fil du perfectionnement de l’assistanat technologique qui sévit, revêtu un jour si révolutionnaire, si subversif, si brave… voire téméraire ; qu’on a tous, par mégarde, laissé la part belle à l’emballement des colères stériles et des haines soi-disant incontrôlables. Je parle là de recul, car c’est certain, nous n’avons plus le temps de nous mépriser nous-même en attendant que ça passe. Affirmons-le en omettant si possible d’en faire des rassemblements symboliques nous épargnant d’écouter ou de se taire si rien n’est à dire et tout à accepter. Ayons enfin la générosité de nous considérer comme meilleurs que nous sommes pour mener l’équipage à l’issue qui aide au moins, ou même sauverait du péril. Évidemment je ne me permettrais jamais de vous débiter cette moralité d’affection si j’en était moi-même entièrement pourvu et tout à fait capable et j’ignore en l’espèce où termine l’intérêt général et où commence la vanité personnelle mal placée.
Il suffirait donc, dans l’idée bien sûr, de nous pencher les uns sur les autres…

Comme des frères et sœurs égarés et durcis, nous soucier du malade et du vieux, du fou ou de la beauté candide, du militant et du flic comme du monarque et du nanti. Capables d’incarner, même précipités dans l’effroi ou acculés à la brutalité imposée par la défense du prés-carré, la beauté plastique d’une vague, sans frayeur sensible. Mus par un ample courant du fond des mers, des Hommes ; des enfants de l’eau, du bouillon d’acides aminés, des enfants animés par leur lucidité vaillante. Les pieds dans la boue comme la bouche éventrée, tout en confiance dans le voisin. Lui qui était tendre originellement. Que sa tendresse ait diminué en quantité ou dans ses détails, en pureté ou en épaisseur, qu’il le sache ou non, qu’il en fasse une blessure ou son jardin secret réchauffé par les fleurs d’un doux orgueil. Qu’un espoir perdure dans les salles d’attente, qu’une opportunité se dégage des épuisantes gesticulations fourvoyées de l’humeur de ces ombres en t-shirt court que nous avons tellement eu honte d’être jusque-là.
La honte, si elle n’est pas dite, fait de nous, certainement, des pantins ridicules animés par le secret coupable. Des clowns sans spectateurs, sinon pas d’autres que des faussaires, des comiques sans avenir, des musiciens sans génie, des danseurs sans audience. Des peintres dont les toiles ne représentent rien d’autre que des figures absentes qui sourient au désarrois peint sur les murs de leur propre maison qui se fissure.
Stan
Août 2014.
N.B.
- Cette modeste tentative pour sauver le monde, d’un type qui tremble à l’idée d’enfiler ses chaussettes, appartient à son lecteur, disposé s’il le souhaite à le redistribuer sans mon accord, comme le reste du contenu de ce blog, la mention en pied de page faisant autorité (bien qu’il s’agisse en fait d’autorité d’un refus inconditionnel de propriété intellectuelle, donc celui de la reconnaissance d’une paternité quelconque privant l’usager de ses droits à en devenir partie prenante). Je l’ai rédigé dans l’idée qu’un roman entier le prendrait comme direction, sans pouvoir en commencer même le début d’un plan depuis. Un tendre merci aux lecteurs qui voudrons bien le piller par charité (ou même par intérêt personnel).

Stanislas Dejoie
Autodidacte, poète et essayiste amateur. Féru de technologies, de toutes créations numériques. Connait la psychiatrie comme patient borderline depuis 20 ans. Souhaitant ici apaiser le dialogue entre toutes parties de la psy moderne et faire rencontrer des mondes qui s'affrontent. Prêt à dénoncer toute injuste subie par les malades psychiques quelle que soit leur mode de prise en charge. Amoureux du genre humain.

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